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Haïti : Jean Charles Moïse redevient-il opposant ?

L’ancien sénateur Jean Charles Moïse, leader du parti Pitit Dessalines», sort de son silence en lançant un ultimatum au Conseil présidentiel de transition (CPT). Lors de son intervention sur Magik9 vendredi 3 janvier 2025, il a exigé des «corrections nécessaires» de la part des conseillers présidentiels. «Si ces corrections ne sont pas apportées, nous allons dissoudre le CPT et nous tourner vers la Cour de cassation», a-t-il menacé.

Cette déclaration survient après des tensions croissantes autour des fonds alloués au ministère de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural (MARNDR), dirigé par Moïse selon le principe du partage de responsabilités. Alors que d’autres ministères bénéficient de budgets oscillant entre 200 et 700 millions de gourdes, le MARNDR ne reçoit que 20 millions. Ce déséquilibre, déplore Moïse, traduit un mépris manifeste pour son parti et ses priorités.

En dénonçant cette situation, l’ancien sénateur accuse également le conseiller présidentiel Fritz Alphonse Jean de bloquer des réformes stratégiques, notamment à la Banque nationale de crédit (BNC). Selon lui, ce dernier s’oppose à l’installation d’un nouveau conseil d’administration favorable à son parti. Moïse a aussi dénoncé la tentative d’un proche du CPT d’accaparer 85 cartels de mairies au profit d’un clan politique.

Par ailleurs, Moïse s’insurge contre les inculpations pour corruption visant trois conseillers présidentiels, dont le représentant de son parti, Emmanuel Vertilaire. Il qualifie les conclusions de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) de «machination politique» et affirme : «Nous n’allons pas lâcher notre représentant».

Malgré cela, il reconnaît la nécessité de respecter les procédures judiciaires, tout en insistant sur le fait que seuls les juges de la Haute Cour de justice sont habilités à se prononcer sur ces affaires. Il a appelé le juge instructeur à se récuser, arguant que «les prérogatives présidentielles des trois conseillers empêchent une instruction ordinaire».

Jean Charles Moïse ne se contente pas de critiquer. Il souligne que les membres accusés du CPT sont utilisés comme boucs émissaires par leurs pairs. «Lorsqu’il s’agissait de renverser le Premier ministre Garry Conille, tout le monde était uni. Mais pour d’autres décisions, ces conseillers sont marginalisés», a-t-il affirmé.

Cet ultimatum marque un tournant dans l’attitude de Moïse envers le CPT, une structure qu’il avait pourtant initialement soutenue. Ce revirement, selon des observateurs, reflète davantage un jeu d’intérêts qu’une véritable défense de l’intérêt national. L’ancien sénateur, rappelons-le, avait déjà critiqué la formation du CPT avant d’y désigner un représentant.

En février 2024, il s’était même allié à l’ex-chef rebelle Guy Philippe pour renverser Ariel Henry. Mais une fois ce dernier évincé, l’homme fort de «Pitit Dessalines» a rompu avec Philippe pour rejoindre le CPT, illustrant sa capacité à redéfinir ses alliances en fonction des opportunités. Cette démarche s’inscrit dans une logique que Machiavel résume ainsi : «Les hommes oublient plus vite la mort de leur père que la perte de leur patrimoine». En effet, la lutte pour le contrôle des ressources d’Haïti, déjà appauvrie par les mauvaises gouvernances, prime souvent sur toute autre considération.

Aujourd’hui, la menace de dissoudre le CPT semble davantage liée à la frustration de voir son ministère sous-financé qu’à une réelle volonté de réforme nationale. Certains y voient une manœuvre pour renforcer son influence politique et obtenir davantage de ressources pour son parti.

Enfin, Jean Charles Moïse a mobilisé ses partisans dans le Nord, anticipant une éventuelle confrontation. Ce coup de pression, conclu-t-il, pourrait se transformer en mobilisation populaire si ses exigences restent ignorées. La scène politique haïtienne demeure ainsi marquée par ces luttes d’intérêts, au détriment d’une véritable stabilité nationale.

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