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Victoires contre les gangs stoppées net dans l’Artibonite : qui tire les ficelles ?

Les opérations menées contre les gangs dans le département de l’Artibonite à la fin de l’année 2024 avaient permis des avancées notables, notamment dans la lutte contre les groupes armés. Pourtant, ces efforts ont été brusquement interrompus, particulièrement depuis les fêtes de fin d’année, sans explication officielle. Ce scénario récurrent soulève une question cruciale : pourquoi des opérations qui semblaient enfin produire des résultats tangibles ont-elles été stoppées ? Et surtout, qui se cache derrière cet arrêt soudain ? La sécurité nationale est désormais en jeu. L’Artibonite, qui semblait sur la voie de la victoire, pourrait devenir le symbole de l’incapacité de l’État à résoudre cette crise.

Les échecs passés : les leçons des opérations au Bel-Air

Un exemple frappant de cette situation se trouve dans les opérations menées au Bel-Air en août et septembre 2024. Après plusieurs semaines d’efforts soutenus, des résultats concrets étaient attendus. Cependant, ces avancées ont été brusquement interrompues, sans explication claire, et les progrès réalisés se sont rapidement dissipés. Cette interruption a fragilisé les acquis, nourrissant l’idée que des «mains puissantes» pourraient œuvrer en coulisses pour empêcher une véritable victoire contre les gangs. Malgré leurs efforts, les forces de l’ordre semblent souvent confrontées à des forces extérieures ou à des intérêts influents, qui préfèrent maintenir la crise pour des raisons politiques ou économiques. Cette dynamique de stagnation, où les progrès sont constamment anéantis, alimente le scepticisme de la population et soulève des doutes quant à l’engagement réel des autorités.

La population, principale victime des opérations inachevées

Dans l’Artibonite, bien que la Police nationale d’Haïti (PNH), soutenue par la Mission multinationale dirigée par le Kenya, ait réussi à mettre en déroute le gang «Gran grif», ces criminels ont continué leurs massacres. Le 9 décembre 2024, un massacre à Petit-Rivière de l’Artibonite a fait plus d’une dizaine de victimes, dont des enfants. Avant cela, soit en octobre 2024, un autre massacre avait eu lieu à Pont Sondé, où plus d’une centaine de personnes, y compris des bébés et des personnes âgées, ont été tuées. Toutefois, après plusieurs mois d’absence suite à l’assassinat de six policiers en janvier 2023, les forces de l’ordre avaient repris le contrôle du commissariat de Liancourt en novembre 2024, puis celui de Petite-Rivière en décembre. Ces progrès ont été largement salués par la population artibonitienne, qui a constamment soutenu les forces de l’ordre. Cependant, la suspension de ces opérations inquiète et pourrait avoir des conséquences dramatiques pour les civils qui ont déjà pris des risques pour appuyer la police.

Les promesses réitérées : un espoir fragile

Le 1er janvier 2025, à l’occasion de la fête de l’indépendance, les autorités ont une nouvelle fois promis de rétablir l’ordre et de libérer les routes occupées par les gangs. Toutefois, ces mêmes promesses avaient déjà été formulées sous la présidence de Jovenel Moïse et sous le gouvernement d’Ariel Henry, sans résultats concrets. Plus récemment, sous le règne du Conseil présidentiel de transition (CPT), le Premier ministre Garry Conille avait aussi promis de reprendre le contrôle du pays, maison après maison, ville après ville. Mais rien n’a été fait jusqu’à son éviction par le CPT le 10 novembre 2024. L’annonce d’une reprise du contrôle des axes stratégiques et des infrastructures critiques ravive un espoir fragile, mais les précédentes déclarations ont souvent été suivies de peu d’actions concrètes. La population, de plus en plus sceptique, attend désormais des preuves tangibles de la part des autorités.

Les rumeurs de révocation du DG de la PNH : un signal inquiétant

Le 4 janvier 2025, des rumeurs ont circulé concernant une possible révocation du directeur général de la PNH, Rameau Normil. Le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé envisagerait de se séparer de Normil, qui a pris la tête de la PNH dans un contexte particulièrement difficile. Cette annonce a provoqué une réaction vive des policiers, qui ont exprimé leur soutien unanime à leur DG et menacé de prendre des mesures radicales si cette révocation se confirmait. Cette situation, en pleine crise de sécurité, est d’autant plus préoccupante que la PNH, en tant qu’institution armée, doit rester apolitique. Le fait que la PNH soit prise dans des querelles internes et politiques est un mauvais signe pour l’État haïtien, particulièrement en période de crise. La bataille pour le contrôle de la direction de la police par les autorités pourrait aggraver la crise sécuritaire et profiter aux gangs criminels.

Un test décisif pour la crédibilité de l’État haïtien

La situation dans le département de l’Artibonite représente un test décisif pour les autorités de la transition, issues de la classe politique haïtienne. Si elles parviennent à démanteler les gangs dans cette région, cela enverra un message fort à l’ensemble du pays, notamment aux gangs qui ont pris en otage la capitale haïtienne : il est possible de rétablir la sécurité sur tout le territoire. Mais l’Artibonite, avec ces avancées fragiles, se trouve à un tournant. Les interruptions répétées des opérations dans plusieurs zones du pays risquent de compromettre toute tentative de stabilisation. Si l’État échoue à rétablir l’ordre dans ce département, cela ne fera qu’aggraver la méfiance envers les autorités et leur capacité à mener des réformes sécuritaires à l’échelle nationale.

Les «mains puissantes» et l’obstacle invisible

Les rumeurs concernant la révocation du DG de la PNH, combinées à l’échec apparent de nombreuses opérations, alimentent l’idée que des forces influentes sont responsables du maintien de la violence. Ces «mains puissantes» pourraient être celles de ceux qui ont intérêt à voir perdurer l’insécurité. Le manque de transparence dans la gestion de ces opérations et les ingérences internes compliquent encore la situation. Tant que ces forces continueront d’influencer les décisions de sécurité, il sera difficile pour Haïti de sortir du cycle de violence et d’instabilité.

Les promesses réitérées des autorités, à l’occasion du 221e anniversaire de l’indépendance d’Haïti, ainsi que l’annonce du chef de la Mission multinationale de sécurité (MMSS), Godfrey Otunge, lors de l’arrivée des contingents guatémaltèque et salvadorien, d’anéantir les gangs, apportent une lueur d’espoir. Mais des résultats concrets sont désormais nécessaires pour regagner la confiance des citoyens et prouver que les autorités peuvent réellement faire revenir l’ordre. Le démantèlement des gangs dans le département de l’Artibonite est un test décisif pour le pouvoir en place. Si l’État échoue, cela mettra en péril la sécurité de la région et la volonté du gouvernement à rétablir l’ordre sur tout le territoire. Dans un contexte où le CPT est déjà fragilisé, notamment par le scandale de corruption relatif à la BNC, il a tout intérêt à envoyer un signal clair en matière de rétablissement de la sécurité. Cela pourrait apaiser les tensions liées aux voix qui s’élèvent pour demander le départ du CPT, et son remplacement par un juge à la Cour de cassation.

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